Le 7 septembre 2014, la rivière s’est ruée dans le quartier Rajbagh : c’est un déferlement de flots qui va envahir le 1er étage d’une maison et les occupants
paniqués se réfugient au 2ème étage. Le lendemain, un secouriste bénévole s’est présenté sous leur fenêtre, les exhortant de partir avec lui. Toute la famille prendra place dans
la barque, Hajira, belle-mère de Asif, 3 fillettes âgées de 6 mois, 2 ans et demi et 5 ans et la mère des deux plus jeunes filles, Kashifa, également épouse d’Asif. Ce dernier resta dans la maison car il n’y
avait plus de place dans l’embarcation.
Hajira portait Sarwat (6mois) dans ses bras, Kashifa tenait Rahat (2,5 ans) et Tarawat (5 ans) était assise entre les deux femmes. De tout ce que possédait le couple,
Kashifa n’emporta que du lait en poudre et quelques lingettes pour Rahat. Elle échangea un long regard avec son mari, lui fit au revoir de la main et Asif regarda sa famille s’éloigner sur ce frêle esquif, adressa un dernier
regard en direction d’Asif et lui fit aussi un au revoir de la main.
Mais un peu plus loin, quand la barque amorça un virage, elle chavira. Nazir (le frère de Kashifa) vit la scène, il brisa la
fenêtre du deuxième étage, se jeta à l’eau : il put secourir sa sœur et il parvint également à sauver Tarawat, l’ainée des enfants. Le jeune secouriste sortit des eaux troubles mais Hajira,
Sarwat et Rahat furent happer par ce déluge d’eau de plus de 4,5 mètres de haut.
Les deux femmes furent conduites au Modern Hospital : Kashifa hurlait toute sa douleur et se tapait la tête
contre les murs sous les yeux d’autres personnes, incapables de soulager sa tristesse. Ce n’est que vers midi, après avoir été secouru à son tour, qu’Asif arriva à l’hôpital où personne
ne sut lui donner des nouvelles. Il s’engagea dans une recherche frénétique et il finit par découvrir son épouse, dans un recoin de l’hôpital, recroquevillée sur elle-même, sanglotant et éperdue
de chagrin.
Choqués, hébétés, murés dans un silence de pierre, ils durent supplier un patient de leur donner une des bananes qu’il possédait pour pouvoir soulager la faim de
leur seule fille survivante. Le lendemain, Altaf, un employé de l’hôpital, apporta un paquet de chips à la petite fille. La famille resta à l’hôpital pendant trois jours puis elle marcha jusqu’à
Skim Soura (à une dizaine de kilomètres) et puis de là, ils se rendirent chez les parents de Kashifa à Shopian, à 50 km de Srinagar).
Nazir, le frère de Hashifa, entreprit de retrouver
les corps des trois disparues : « La première chose que j’ai faite a été de taper à toutes les portes du gouvernement pour les supplier de m’aider. Je suis allé voir Iqbal Khandey (secrétaire
en chef de l’état du Jammu Kashmir), Nasir Aslam Wani (leader du parti politique « National Conference » qui dirige l’état du Jammu Kashmir), DGP( directeur général
de police), IGP ( inspecteur général de police)etc… et même Mirwaiz Umar Farooq (leader politique et religieux). Je suis allé au commissariat de police de Rajbagh. Tous m’ont
promis leur aide mais personne n’a bougé. Finalement le 12 septembre, j’ai loué une barque et commencé les recherches moi-même. On partait tôt le matin et on rentrait tard le soir, cherchant autour de chaque maison
dans le coin de rue ou la barque avait chaviré, jusqu’à ce que je les retrouve plus de deux semaines après. Nous ne pouvions pas rentrer à la maison ou les parents choqués ne parlaient plus. Nous ne pouvions pas
dormir ni manger. L’idée que ces deux petites filles étaient sous l’eau avec leur grand-mère était insupportable. »
Pendant 17 jours, Huzaif Nazir a cherché
sans relâche trois corps dans les eaux de Rajbagh. Chaque matin, avec son cousin Junaid Sabir, ils firent le tour des maisons submergées dans une barque qu’ils louaient 1500 roupies par jour (une vingtaine d’euros, une somme importante
en Inde). Ils sont descendus dans l’eau pour pouvoir tâter le fond avec leurs pieds mais n’ont rien trouvé. Puis le 21 septembre 2014, ils sont finalement tombés sur le corps de Hajira Begum, 65 ans et trois jours plus
tard, le 24 septembre sur ceux des deux fillettes.
« Mais retrouver leurs corps et les mettre en terre n’a pas changé grand-chose. » conclut Nazir. La douleur profonde ne connait
ni décrue, ni soulagement…